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Les échanges de musique sur internet

Bernard Girard, bonjour. Vous voulez, ce matin, nous parler de la musique que l’on peut télécharger sur internet…

Oui. Vous le savez sans doute, les ventes de disques ont fortement chuté. Sur les 9 premiers mois de l’année, il y a eu en France une diminution de 9% du nombre d’unités vendues, ce qui s’est traduit par une diminution de plus de 13% du chiffre d’affaires de l’industrie.

C’est vrai de tous les disques ?

Non. Les plus touchées sont les ventes de singles qui ont diminué, en volume, de plus de 20%, alors que celles d’albums ont diminué d’un peu plus de 8%. Quand on regarde les genres, on voit que ce sont les variétés internationales qui ont été le plus touchées, alors que les variétés nationales, la musique classique et le jazz ont mieux résisté, ce qui suggère que ce sont les comportements des jeunes qui ont changé.

C’est nouveau ?

Oui, puisque l’année dernière encore, le marché avait, en France, une croissance de l’ordre de 10%. Je dis en France parce qu’on observait déjà un recul des ventes à l’étranger.

Et c’est lié à l’internet ?

C’est ce que pensent les professionnels qui s’inquiètent beaucoup des progrès du téléchargement de musique sur les sites qu’on appelle P2P, peer to peer.

Comment est-ce que cela fonctionne ?

C’est assez simple. Vous achetez ou vous trouvez gratuitement un logiciel qui vous donne accès à des bibliothèques virtuelles de musiques, de vidéos, éventuellement de films que vous pouvez télécharger en quelques dizaines de secondes ou quelques minutes sur votre ordinateur. Il y en a plusieurs : Kazaa, Blubster, Gnutella, Morpheus, Grokster… qui mettent en contact des internautes amateurs de musiques, de films…Une fois téléchargée la musique, vous pouvez en faire ce que vous souhaitez : l’écouter sur votre ordinateur, la graver sur un CD, la stocker dans un lecteur de poche comme l’ipod dont Apple a fait un peu partout la publicité cet automne.

Sans payer ?

Vous ne payez, et encore pas toujours, que le logiciel qui donne accès à ces bases de données qui recueillent des fichiers que les internautes envoient. On est dans une logique du partage que les informaticiens connaissent bien puisqu’elle est régulièrement utilisée comme outil de marketing pour lancer un nouveau produit. C’est ce qu’on appelle le shareware ou le freeware, par allusion au software ou au hardware.

Tant que cette technique n’était utilisée que par les informaticiens pour échanger des programmes, elle ne posait pas de problème puisque les auteurs choisissaient d’eux-mêmes de mettre à la disposition de tous leurs programmes dans l’espoir de devenir incontournables et de pouvoir, derrière, vendre d’autres produits. Mais la question se pose tout autrement pour la musique et le cinéma puisque tout cela se fait sans l’accord des auteurs, des producteurs…

C’est du piratage…

C’est, bien sûr, ce que disent les industriels du disque qui se battent pour résister à un mouvement qui menace chaque jour un peu plus leur marché. Les chiffres sont impressionnants. Dans la seconde semaine de décembre, on a compté 2, 4 millions de téléchargements de ces logiciels d’accès à ces services qui seraient déjà utilisés par plus de 60 millions aux Etats-Unis.

Il s’agit de chiffres très importants…

Cela ressemble vraiment à un raz-de-marée mondial. Les sommes perdues par l’industrie du disque seraient dores et déjà considérables. On parle de plus de 4 milliards d’Euros de recettes évaporées.

J’imagine que les compagnies de disques font tout pour résister…

Oui, mais les choses ne sont pas, sur le plan juridique, si simples. Dans un premier temps, les compagnies de disques ont gagné les procès qu’elles intentaient aux opérateurs de ces systèmes. Le premier réseau de ce type, Napster, en a d’ailleurs été victime. Mais le vent a, semble-t-il, tourné. Les opérateurs ont modifié leurs technologies et les tribunaux ont évolué. En avril dernier, une cour de Los Angeles a jugé que les sites de partage n’enfreignaient pas la loi sur les droits d’auteur. Tout récemment, un tribunal hollandais a jugé que la distribution de Kazaa n’était pas une activité illégale. Un jugement rendu au Canada va dans le même sens puisqu’il autorise le téléchargement de musique, mais interdit le chargement : on a le droit de recevoir de la musique, mais pas d’en envoyer.

C’est un peu compliqué…

On est en pleine bataille juridique, mais les compagnies de disques sont aujourd’hui sur la défensive sur au moins trois points :

  • – Elles parlent de piratage, mais il ne s’agit pas que de cela. L’échange de musiques enregistrées est une activité légitime. Lorsque vous achetez un disque, vous avez le droit de le prêter à un ami. Vous le faites, d’ailleurs, régulièrement. Les échanges sur le net relèvent de la même logique et il n’y a donc pas de motif de les interdire ;
  • – Le piratage existe et personne ne le nie. Il serait d’ailleurs difficile de faire autrement : les ventes de CD vierges sont aujourd’hui plus importantes aux Etats-Unis que les ventes de CD classiques, mais les tribunaux semblent de plus en souvent convaincus que les opérateurs des services internet n’ont pas de moyens de distinguer les pirates de ceux qui ne le sont pas ;
  • – Enfin, les tactiques utilisées pour lutter contre le piratage sont contestables. Les compagnies de disques ont poursuivi des utilisateurs en justice, ont développé des outils pour ralentir le téléchargement de fichiers audio, ont imaginé des pièges pour les utilisateurs, et sur tous ces points ils sont aujourd’hui critiqués par les tribunaux. Il faut dire que l’industrie a été particulièrement maladroite puisqu’elle a poursuivi une petite fille de 12 ans qui avait téléchargé des chansons sur son ordinateurs. Pour interrompre les poursuites, sa mère a dû payer 2000 $, soit infiniment plus que la valeur des chansons téléchargées. On n’est pas très loin de l’extorsion de fonds !

Vous croyez que ces pratiques expliquent le revirement des tribunaux ?

Cela y a sans doute contribué, mais l’essentiel est ailleurs. Au tout début, les industriels du disque n’avaient en face d’eux que de petites sociétés informatiques. Ils se heurtent aujourd’hui à l’opposition d’industries beaucoup plus puissantes, les télécommunications et l’électronique qui ont intérêt au développement de ces technologies mais aussi à l’opposition d’artistes des artistes qui voient dans ces technologies la possibilité de mieux faire connaître et vendre leurs œuvres.

Mais s’il ne reçoivent pas de royalties, ce n’est pas très intéressant…

Sans doute, mais il faut, d’abord, savoir que la plupart des artistes ne reçoivent que très peu de royalties. Sur les 32 000 disques qui sortent chaque année aux Etats-Unis, 250 seulement sont vendus à plus de 10 0000 exemplaires. Cette question des droits et des royalties ne concerne donc vraiment qu’une minorité d’artistes qui ne sont d’ailleurs pas tous d’accord avec les compagnies. Dans un article publié il y a quelques mois, Courtney Love mettait très violemment en cause les majors. Je la cite : « ce n’est pas du piratage lorsque des gamins échangent de la musique sur internet en utilisant Napster ou Gnutella, ou lorsqu’ils enregistrent des CD. Le piratage est du coté de ces gars qui dirigent ces compagnies qui nous font signer des contrats léonins. » Dans ce même article, elle montrait comment, même sur un disque vendu à 2 millions d’exemplaires, les membres d’un groupe de rock ne touchait pas plus de 45 000€. Et elle n’est pas la seule à contester les méthodes des majors. Un groupe américain, TLC, célèbre dans les années 90, a révélé n’avoir touché que 2% des 170 millions de dollars qu’avaient générés la vente de leurs disques, soit infiniment moins que le profit que leur éditeur a fait sur leur disque. Et, si j’ai bien compris, la situation devrait empirer avec le développement des ventes de disques sur internet, au travers de disquaires comme Amazon. Il semble en effet que les contrats des artistes prévoient, en effet, une diminution de 50% de leurs royalties en cas de vente sur ces supports. Mais ce serait à vérifier.

Au delà de la bataille juridique, il y a donc une bataille économique…

Derrière tous les discours sur les droits d’auteur, il y a des enjeux économiques majeurs. L’industrie du disque se bat pour conserver des avantages acquis que les nouvelles technologies menacent.

Et que peut-elle faire ?

Il y a au fond quatre grandes pistes :

  • – la première est la guerre : les compagnies de disques continuent dans la direction engagée depuis quelques années, elles poursuivent en justice les utilisateurs, obtiennent des tribunaux des condamnations lourdes, brouillent les systèmes internet des internautes qui téléchargent de la musique…
  • – la seconde est l’impôt. De nombreux acteurs proposent que l’on introduise une taxe sur les produits électroniques susceptibles de recevoir de la musique piratée, sur les disques durs des ordinateurs, sur les baladeurs type ipod, sur les CD vierges. Certaines propositions conduiraient à une augmentation de près de 30% des ipod d’Apple ;
  • – la troisième est une bataille plus classique sur les prix. Certaines compagnies ont commencé de baisser de manière significative leurs prix pour regagner des clients.

Mais est-ce que cela peut suffire à rattraper les clients qui peuvent obtenir les mêmes œuvres gratuitement sur le net ?

Ce n’est pas impossible. Nous avons jusqu’à présent beaucoup parlé de la concurrence d’internet, du piratage mais est-ce vraiment la seule explication de la chute des ventes de disques ? ce n’est pas certain. Un musicien américain qui s’appelle George Ziemann a publié une analyse très fine des statistiques qui montre qu’on peut expliquer ce recul des ventes par d’autres facteurs :

  • – la diminution du nombre d’œuvres produites, qui seraient passées de 39 000/an il y a trois ou quatre ans, à moins de 30 000 aujourd’hui. Qui dit moins de disques produits dit moins de de ventes ;
  • – l’augmentation des prix des CD qui auraient progressé de plus de 7% en deux ans de 1999 à 2001 aux Etats-Unis ;
  • – la concurrence des DVD qui coûtent à peu près le même prix que les disques. Pourquoi acheter 18€ un CD de musique de film quand on peut avoir pour à peu près le même prix le DVD avec la musique et les images ?
  • – la concurrence des jeux vidéo et d’internet qui se sont généralisés et qui occupent des jeunes gens qui écoutaient hier de la musique.

Ces arguments méritent, je crois, d’être pris au sérieux, ce qui ne veut pas dire que la musique en ligne n’est pas une véritable menace pour l’industrie.

Vous faisiez allusion à une quatrième piste…

On peut effectivement chercher à s’adapter à ces technologies et de trouver des solutions qui permettent tout à la fois de profiter de ses avantages, notamment de la baisse des coûts de distribution, sans pénaliser les artistes.

C’est ce qu’a fait Apple en lançant son service de vente de musique par internet. Vous vous connectez à son serveur et vous achetez des chansons à l’unité, à un prix très avantageux. Une chanson est vendue un peu moins d’1$ alors qu’un single est vendu 4 ou 5$. Le rapport est de 1 à 4.

Et cela marche ?

Oui. Plus de 25 millions de chansons ont été téléchargées sur itune qui propose 400 000 références, ce qui en fait probablement le plus gros disquaire du monde. Pour l’instant, ce service n’est pas disponible en France mais on peut le visiter et voir comment il fonctionne.

Mais il y a d’autres solutions, comme celle imaginée par Magnatune, une entreprise de Berkeley qui a choisi d’appliquer à la musique le modèle économique du shareware des informaticiens. Vous allez sur leur site, vous pouvez écouter gratuitement les musiques qu’elle édite, un peu comme on peut écouter des disques à la radio ou des nouveautés chez les disquaires. Et si cela vous plait, vous pouvez acheter le disque, dans une version de meilleure qualité technique, pour 5$ ou, si vous préférez, 5€, soit à peu près le quart du prix du même disque dans le commerce, dont 50% sont immédiatement reversés à l’artiste. Un artiste touche donc à peu près ce qu’il reçoit dans le circuit traditionnel, à cette différence près que Magnatune ne fait aucune avance sur recette, ce qui peut être un problème pour des artistes qui ont des frais importants, mais ce n’est apparemment pas un obstacle puisqu’il reçoit 200 propositions toutes les semaines, dont il retient une quinzaine pour son catalogue. C’est certainement un modèle économique intéressant.

Qui peut se développer ?

C’est à vérifier, mais ce n’est pas impossible pour peu que ses créateurs trouvent le moyen d’inciter les acheteurs à payer, mais les éditeurs de logiciels qui utilisent ces techniques l’ont fait. On pourrait voir des artistes, des groupes utiliser des techniques comparables pour se faire connaître. Certains le font déjà comme Brad Sucks, un chanteur canadien, mais il y en a probablement d’autres. On pourrait également imaginer que des disquaires électroniques se lancent sur ce marché. Nous ne sommes qu’au début d’une révolution de la distribution de la musique…

Je voudrais pour terminer vous donner l’adresse d’un site qui m’a enchanté : il s’appelle songfight.org. C’est une sorte de star academy mondiale ouverte à tous : vous envoyez des chansons qui sont diffusées sur le net et l’auditeur peut voter pour celle qu’il préfère.

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